Salon de Montrouge

« Cerf », « cerveau », plus qu’une allitération,

c’est probablement la parenté phonique des

deux termes qui a inconsciemment poussé

Aurélie de Heinzelin à utiliser abondamment

ces motifs dans son travail récent de peinture.

Peintre et écrivaine, l’artiste exprime de

ces deux façons ce qui l’habite et l’entoure,

dans une double approche complémentaire,

et même pas schizophrénique. Une tête de

cerf empaillée surnommée Raoul, un homme

qui aime des femmes avec un prénom en C,

un cerveau sur un socle, tous ces éléments

peuplent son univers et se retrouvent tour à

tour barbouillés à la glycéro et à la tempera

sur du medium, ou couchés sur le papier puis

reliés consciencieusement.

 

L’artiste donne l’impression d’une bonne

élève qui aurait déraillé. Une version punk de

cette jeune femme qui présente bien, capable

d’écrire dans son Journal (en cours) que la

Vierge à l’enfant emmailloté de Filippo Lippi

aurait « le regard vitreux de la junky » tandis

que Jésus « a de petits yeux rapprochés et

idiots ». L’artiste se déclare une passion de

jeunesse pour Bacon, et l’on pense en effet à

ses portraits du Pape Innocent X, hommage

iconoclaste, blasphématoire à Vélasquez.

Comme Bacon, Aurélie de Heinzelin se réfère

directement à ses idoles : Chaïm Soutine,

Philip Guston, Maria Lassnig, Frida Kahlo

(chapitre « Les peintres » in Eux). Tantôt pour

souligner sa frustration de n’avoir pu admirer

leurs oeuvres dans la réalité, ou déclarer son

admiration pour la représentation de ce qui

est « beau et irritant à la fois » (à propos de

Cranach). Une véritable galerie de portraits se

dessine dans son oeuvre, comme une visite aux

Offices ou au musée du Vatican.

 

Peintures et textes forment un portrait de

l’artiste en creux, à travers la description

de ses goûts, l’utilisation d’un humour noir

réjouissant, la narration de ses rêves. Un

travail réellement contemporain, en ce qu’il

représente de façon très complète, par l’image

et le texte, la vie mentale d’une jeune femme

de presque trente ans. Une jeune femme qui

aime sans doute beaucoup Baudelaire, le

romantisme de la charogne, Beetlejuice et Tim

Burton, et un homme sans bras, qui voudrait

être un « héros littéraire » (in Sans bras, en

cours).

 

Dans ses peintures, les crânes reposent sur un

fond noir quelques fois brillant. Des visages

colorés font penser à des masques mortuaires,

à la frontière avec l’abstraction. Des éléments

que l’on retrouve peut-être tout droit tirés de

cauchemars enfantins. Aurélie de Heinzelin

fait montre d’une obsession pour le corps, la

mort, la maladie « Quand j’étais petite / J’avais

la peur panique d’attraper le ver solitaire »

écrit-elle, et pour une décrépitude fantasmée

comme dans un film d’horreur : « Je veux

qu’on m’embrasse. / Mes dents s’effritent /

Mais pour un baiser / Pas besoin de dents. »

Elle se peint ainsi comme un être entre deux

âges qui n’aurait pas encore trouvé sa place. Sa

dernière série de dessins, prenant pour motifs

récurrents des nonnes et des huîtres, continue

de tracer un parcours détonnant, affreusement

drôle.

 

Isabelle Alfonsi, 2010.